Le Krugman québecois
Depuis le début de la semaine, je rumine une réponse à ce billet de Jean-François Lisée, qui est en quelque sorte notre Paul Krugman québécois avec le doctorat de Princeton et le prix Nobel en moins. Sa similarité à Krugman provient surtout de son utilisation de sensiblement les mêmes sophismes que l’éminent chroniqueur du New York Times. Cette semaine, il devait y avoir un spécial sur les sophismes, car M. Lisée nous en a servi plusieurs. Dans son texte, M. Lisée nous montre plusieurs beaux graphiques démontrant, selon lui, la thèse que les grandes corporations font de faramineux profits, que les salariés n’obtiennent pas leur juste part, que la richesse se concentre dans les poches du 1% le plus riche et que les pauvres salariés ne font que s’appauvrir. Argument provenant venant tout droit de la théorie marxiste. Tout cela dans le but évident de susciter un sentiment d’injustice outrageux chez ses lecteurs, qui sont pour la plupart, économiquement illettrés. (Je blâme notre système d’éducation monopolistique étatique pour ce triste état de fait. L’éducation économique n’est pas dans l’intérêt de l’état, les bonnes gens pourraient découvrir qui sont les véritables exploiteurs.) Le succès de la gauche a toujours été de susciter l’émotion, plutôt que la raison. L’inconvénient est que l’émotion est souvent mauvaise conseillère. Pour ce qui est de ses chiffres, je n’ai pas vraiment l’intention de faire autre chose que de remettre certains d’entre eux en perspective. À ce chapitre, je vous recommande plutôt de lire cet excellent billet de l’Antagoniste David Gagnon. En fait de démolition systématique de statistiques, je ne saurais faire mieux que lui dans ce domaine. Je propose plutôt de m’attaquer aux bases intellectuelles des arguments de Jean-François Lisée pour vous montrer que son raisonnement, typiquement gauchiste, est faux et que par conséquent, il prône les mauvaises solutions.
Ces faramineux profits.
Jean-François Lisée, dans un premier temps nous montre un beau graphique qui démontre comment les profits des corporations croissent plus rapidement que le PIB. Toute chose étant égale, c’est une bonne nouvelle. Cependant, il convient de mettre les choses en perspective. En terme nominaux, les profits des grosses corporations sont très impressionnants quand on les regarde sans point de référence, mais ce n’est en réalité qu’une question d’échelle. Si nous les ramenons à leur proportion par rapport aux recettes, nous voyons que ceux-ci ne sont pas si faramineux.
En fait, la marge de profit moyenne des 500 plus grosses compagnies américaines est un maigre 3.99%. Pas si énorme, même si ça ce traduit par des milliards. Et si ces profits semblent augmenter de façon si vertigineuse, c’est peut-être parce que la Réserve Fédérale américaine est en train d’inonder les marchés mondiaux de billets verts.
Les travailleurs salariés ne reçoivent pas leur juste part des profits.
C’est un concept marxiste qui amène les gens à croire que les profits d’une compagnie sont un prélèvement sur les revenus générés par les employés et que par conséquent les employés ont droit à leur part de ces profits. Dans la réalité, il n’y a aucune connexion entre le travail des employés et le profit (ou la perte) dégagé par la compagnie sur le produit final. Ce profit, on le doit à un grand nombre de facteurs. Si le salaire des salariés avait un quelconque rapport avec les profits, les employés des compagnies aériennes recevraient des chèques avec des montants négatifs parce que leurs employeurs font des pertes de l’ordre de 13%. Le montant des salaires est fixé selon des règles bien différentes qui ont plus à voir avec l’offre et la demande. Les salariés louent simplement leur temps et leur labeur à l’employeur, ils n’ont aucun droit de propriété sur le produit final et donc aucun droit aux profits de la vente de ce produit. Si vous voulez une par des profits, il faut être actionnaire.
Les riches deviennent plus riches et les pauvres deviennent plus pauvres
La théorie selon laquelle la richesse se concentre dans les mains d’une minorité d’élites sous un système capitaliste provient également de Karl Marx. Pour faire sa démonstration, M. Lisée nous montre plusieurs graphiques qui démontrent la part grandissante accaparée par les plus riches. Or il y a plusieurs problèmes avec cette présentation.
1- Dans le premier graphique, Jean-François Lisée pointe la courbe de croissance des revenus beaucoup plus prononcée du premier 1% les plus riches pour qu’on s’en indigne et qu’on crie à l’injustice. Le seul problème avec cette façon de présenter les choses est qu’elle ne tient pas compte de la mobilité économique et considère tous les quintiles sont des groupes statiques, comme si le quintile le plus pauvre représentait toujours les mêmes gens piégés perpétuellement dans un état de pauvreté chronique. Or, selon de nombreuses études, la plupart des gens qui ont commencé dans le plus bas quintile ont amélioré leur condition et sont passés dans un des quatre autres quintiles dix ans plus tard. Ils sont habituellement remplacés par d’autres qui font leur entrée sur le marché du travail au bas de l’échelle. Il existe très certainement des cas de gens qui sont dans un état de pauvreté chronique, mais certainement pas autant que des graphiques comme celui-là suggèrent.
2- Le second graphique est une représentation en forme de tarte de la répartition de la richesse. Encore une fois on donne l’impression que les riches accaparent une part de la tarte toujours plus grande. Il y a deux problèmes avec cette représentation :
- Il donne l’impression que la création de la richesse est un jeu à somme nulle et que tout gain par un groupe se fait automatiquement aux dépends des autres. C’est complètement faux. En réalité, la richesse totale augmente constamment au fur et à mesure que des nouveaux produits et services sont créés et vendus, alors même si on se ramasse avec une part plus petite d’une plus grosse tarte, on est quand même gagnant.
- La façon qu’on utilise cette représentation suggère que la richesse est un bien collectif à répartir plutôt que la propriété de personnes qui ont produit cette richesse. Cette vision est erronée. La richesse n’appartient pas à la collectivité. Si Robinson Crusoë sur son île se fatigue de pêcher le poisson à la main et décide de tailler une branche et multiplie le fruit de sa pêche par 10, est-ce que ça donne droit à Vendredi de s’approprier une partie de sa pêche? La richesse est créée primairement par ceux qui créent des entreprises qui innovent et offrent les produits et services dont les consommateurs ont besoin. La richesse ainsi créée leur appartient. Steve Jobs et Steve Wozniak ont commencé en construisant leurs kits Apple I à la main dans un garage. Leur invention d’un ordinateur qu’on peut utiliser à la maison a révolutionné le monde en l’espace de quelques décennies et ils continuent de le faire avec les iPhone, iPods et iPads. Ce faisant, ils ont amélioré le sort de milliers de gens en créant des foules d’emplois mieux rémunérés que ce qui existait auparavant. Sans eux et d’autre comme eux, nous aurions tous été moins riches.
Conclusion
Je me suis demandé pourquoi, lors de la rédaction de son billet, Jean-François Lisée se servait des États-Unis comme exemple et non le Québec. Jusqu’à ce que je vois ce graphique sur Antagoniste.net :
David Gagnon a eu l’idée d’utiliser les mêmes donnés américaines sur la répartition de la richesse entre le quintile le plus pauvre et le top 1% et d’y superposer des données du Québec. Le résultat démontre que même la richesse des québécois les plus riches croît moins rapidement que celle des américains les plus pauvres (+10% vs +16%). La conclusion inévitable est que l’augmentation de richesse des plus riches tire les autres groupes vers le haut et qu’une plus grande redistribution de la richesse et un plus haut taux de syndicalisation, tels que pratiqués dans notre sacro-saint modèle québécois, mènent à un appauvrissement général. Bien entendu, en bon socialiste, J-F Lisée préfère que les pauvres soient plsu pauvres, pourvu que les riches soient moins riches. Les temps sont durs pour les défenseurs du modèle québécois.
Je suis plus qu’impressionée par l’excellente qualité de votre réponse super bien exprimée à M. Lisée. Bravo. Vous êtes très articulé et avez un don extraordinaire pour l’écriture!
Merci Renée. J'apprécie beaucoup.
Je connais cet article de l'urban.org. Mais la vérité est que la mobilité sociale serait, semble-t-il, supérieure dans les pays socialistes. D'un point de vue théorique, ça se tient, puisqu'il parait peu probable que redistribuer vers les pauvres n'augmente pas leur mobilité sociale, bien au contraire.
Néanmoins, cela seul ne suffit pas à justifier plus de taxes et d'impôts, qui ont des conséquences assez néfastes sur l'économie dans son ensemble.
On répétera encore et toujours, "les inégalités c'est injuste". La situation des pauvres n'est pas si misérable que ce qu'on veut bien nous montrer.
Bottom 5% of Americans Earn More than top 5% of Indians : http://blog.pappastax.com/index.php/2011/06/05/bo…
Au contraire, la redistribution de la richesse tend vers l'appauvrissement général, pas la mobilité sociale.
Je sais que les preuves sont légères. Tout ce que j'ai trouvé, c'est un vulgaire graphique. http://www.americanprogress.org/issues/2006/04/He…
Tom Hertz note une plus faible mobilité intergénérationnelle aux USA comparativement aux autres pays industrialisés. La France n’est pas loin derrière les USA. Voir tableau 2 (p.7).
J'ignore comment Corak s'y est pris pour dessiner ce graphique. Mais théoriquement, ce n'est pas du tout étrange, au contraire. Vous redistribuez aux plus pauvres, en prenant aux plus riches. Les riches sont donc plus susceptibles de tomber dans un quintile inférieur, et les pauvres plus susceptibles de gagner un quintile. C'est une question de bon sens. Encore une fois, je ne dis pas que ça justifie les politiques de redistribution. Je sais ce qu'elles impliquent.
De toute façon, je ne pense pas que la mobilité sociale soit si faible qu'on le prétend aux USA. http://analyseeconomique.wordpress.com/2011/04/14…
Meng Hu: c’est pas pour rien que le synonyme de mobilité sociale positive s’appelle le American Dream 😉
La science économique n'est pas une science expérimentale. C'est une science qui utilise la preuve philosophique avec des concepts définissables. Une prétendue preuve sur des chiffres est nécessairement faible et contestable.
Si la logique dit qu'un raisonnement est faux, aucun chiffre ne démontrera que ce raisonnement est vrai. Tenter de répondre sur le même terrain des chiffres n'est pas nécessaire lorsqu'un raisonnement conceptuel existe.
"Une prétendue preuve sur des chiffres est nécessairement faible et contestable. "
*crache dans sa soupe*